Je l’avais promis, je traînais un peu les pieds pour le faire car c’est quand même un peu de travail puis …on me l’a plus ou moins réclamé alors voici finalement un petit article sur…
Comment faire un enfleurage à la maison ?
(Comme au temps de Jean-Baptiste Grenouille … avec ses petites mains et deux ou trois autres bricoles !)
Fleurs d'abélia et chèvrefeuille après utilisation
A quoi ça sert ?
Le gros avantage c’est que vous pourrez obtenir sans les acheter des absolues plus ou moins diluées, selon le temps que vous y consacrerez et la quantité de matière végétale dont vous disposez. Ils seront de plus 100% naturels et de bonne qualité si vous faites ça correctement. Dernier avantage, vous pourrez obtenir un extrait odorant de vos fleurs préférées, si « muettes » soient-elles pour l’industrie du parfum.
Bon ce serait un très vaste sujet, je vais tenter de rester au plus simple et surtout, applicable dans votre cuisine !
Tout d’abord, petit rappel important de ce que j’évoque dans la partie « Les essences » paragraphe « Les absolues » de mon premier article .
Il existe deux façons d’obtenir des absolues à l’ancienne c’est à dire sans solvants chimiques volatiles type éther de pétrole ou hexane. Toutes deux s’appellent enfleurage (on les voit toutes deux dans le film « Le parfum » tiré du roman éponyme).
Il y a l’enfleurage à chaud fait en immergeant les matières dont on veut capter l’odeur dans un bain de corps gras plus ou moins chaud (jamais trop chaud quand même, les 100° du bain-marie au maximum…). Dans ce cas on utilise une huile ou une graisse fondant à une température assez basse pour ne pas avoir à trop chauffer.
Il y a ensuite l’enfleurage à froid et là en principe on utilise une graisse solide à température ambiante mais fondant là aussi à une température pas trop élevée.
En pratique :
Il vous faudra :
– Du temps … généralement un petit moment chaque jour pendant une semaine.
– Pas mal de matière odorante, le plus souvent des fleurs mais avec de l’imagination on peut trouver des tas d’autres choses qui conviennent…
– Un grand récipient plat et de quoi le couvrir plus ou moins hermétiquement.
– Une bouteille ou un grand flacon (de préférence à large goulot) avec bouchon ou bocal avec couvercle.
– Un corps gras inodore adapté (voir exemples plus bas) en quantité suffisante pour quoi remplir une bonne partie de votre bouteille ou faire une couche de quelques millimètres à un centimètre dans votre récipient plat.
-De l’alcool aussi pur et naturel que possible (minimum 70° mais préférer même 90° ou plus) à peu près le même volume que la graisse utilisée
– Quelques flacons vides
– Un chinois (passoire fine) et/ou une étamine (enfin un tissu fin solide et propre mais inodore quelconque fera l’affaire…).
– Film plastique et entonnoir(s) peuvent aussi servir.
Dans tous les cas il vous faut une graisse inodore donc désodorisée car attention, brutes elles sont presque toutes odorantes.
Solide à température ambiante, par exemple : beurre de karité, mangue, graisse de coco, palme ou soja (=huile de soja hydrogénée), saindoux et autres graisses animales désodorisées peuvent aussi faire l’affaire, il me semble d’ailleurs que c’est le saindoux qui fut la graisse la plus utilisée pour l’enfleurage à la belle époque.
Soit éventuellement une huile végétale désodorisée mais ça n’ira que pour l’enfleurage à chaud et même dans ce cas une graisse solide à température ambiante qui fondra dès que vous chauffez sera plus pratique car elle se figera ensuite facilement.
Dans un premier temps :
Le but est de saturer la graisse de molécules odorantes.
Dans le cas d’un enfleurage à froid prendre un grand récipient avec une couche pas trop épaisse de graisse fondue que vous laissez se solidifier. Pour ma part je le couvre d’un couvercle qui évite salissures et odeurs parasites, en plus il retient l’odeur des plantes utilisées mais ça impose de faire attention à l’eau présente dans les plantes et à sa condensation pour éviter la moisissure.
Vous poserez donc vos plantes (le plus souvent on fait l’enfleurage à froid sur des fleurs, d’où son nom…) vous poserez donc vos fleurs sur la graisse. Ensuite il faudra les retirer pour en poser d’autres, si possible au moins une fois par 24h pour éviter la moisissure.
S’il y a de l’eau de condensation faites-la couler ou enlevez-là délicatement à l’aide de papier absorbant au remplacement des fleurs, la encore ça limitera les risques de moisissure.
Fleurs de chèvrefeuille posées sur la graisse dans leur récipient couvert
Il faut répéter l’opération plus ou moins longtemps selon les fleurs, une semaine est généralement une bonne durée et il faut donc prévoir sept « cargaisons » de fleurs fraîches ce qui peut déjà représenter une bonne quantité selon la surface de graisse à enfleurer.
Dans le cas de l’enfleurage à chaud (à privilégier pour des plantes aromatiques dont vous savez que l’on peut tirer une huile essentielle) on prend sa bouteille ou bocal que l’on remplit partiellement d’huile, selon la quantité de plantes à y plonger. Et de la même façon qu’à froid on renouvelle les plantes un bon nombre de fois selon le temps et la masse de matière première dont on dispose. (Une dizaine de fois c’est généralement bien pour des fleurs. Ca dépend évidemment des quantités de molécules aromatiques dans la plante de départ mais on peut saturer la graisse plus ou moins facilement, j’ai fait un seule passage pour de la lavande et c’était déjà pas mal du tout.)
Evidemment à chaud la différence est qu’on laisse les matières au contact de la graisse moins longtemps vu que le bain-marie accélère la diffusion des substances aromatiques. On peut donc compter une quelques dizaines de minutes par bain (plus ou moins suivant l’épaisseur des végétaux utilisés) et de ce fait 10 bains peuvent éventuellement se faire en quelques heures.
On peut évidement adapter la température de l’eau du bain-marie et de façon inversement proportionnelle, la durée des bains, suivant la fragilité des molécules odorantes de la plante…
Deuxième étape :
On fera passer autant que possible les molécules odorantes dans l’alcool (question de physico-chimique il y aura un équilibre selon la solubilité des molécules dans la graisse et dans l’alcool et vous ne pourrez pas aller au delà… il en restera toujours dans la graisse).
Pour ça il faudra placer votre graisse dans une bouteille ou un bocal fermé et y mélanger un volume à peu près égal d’alcool à la graisse.
On agitera copieusement, plusieurs minutes (dizaines de minutes si on est motivé ou qu’on a un agitateur mécanique).
(Pour de grosses quantités : un batteur à main, électrique ou un mixeur pourrait être utilisés mais attention, ne pas trop chauffer et passez à travers un film plastique ou autre chose qui assure l’étanchéité autour du batteur. Si l’air circule et qu’on chauffe un peu fort on risque de retrouver tout ce qui nous intéresse dans l’air de la pièce… A mon avis, agiter le mélange dans un récipient fermé est préférable pour de petites quantités… si vous en faites 50 litres évidemment pensez au batteur électrique.)
Troisième étape :
Décantation, refroidissement, filtration…
C’est assez simple si ce n’est qu’il vaut mieux que ça décante assez longtemps avant que la graisse ne se solidifie, donc refroidir doucement, pourquoi pas en laissant l’eau de bain-marie se refroidir avec le reste ou en entourant votre récipient d’un linge car le but est de ne pas solidifier les goutte(lette)s de graisse encore en suspension dans l’alcool mais un bloc de graisse séparé de l’alcool (Vous verrez contrairement à l’eau, l’alcool devrait se trouver au dessus de la graisse, c’est encore plus pratique).
Décantation alcool/graisse
Ensuite on achève le refroidissement au réfrigérateur voire congélateur suivant les cas (la graisse utilisé), ça permet de raffermir la graisse.
Malheureusement prévoyez que tout n’est pas parfait, des acides gras seront entrainés par l’alcool… et de l’alcool sera retenu par la graisse. On peut éventuellement répéter l’opération de décantation refroidissement sur l’alcool et idem sur la graisse que l’on aura faite fondre à nouveau, ça permettra de séparer un peu mieux graisse et alcool chargé des précieuses substances aromatiques…
En tous cas, ne jetez pas la graisse utilisée avant de m’avoir lu jusqu’à la fin !
Voilà, vous avez une solution alcooliques des substances aromatiques que vous souhaitiez extraire.
Par rapport à une teinture : Ca permet de limiter l’extraction des substances colorées qui sont rarement elles aussi solubles à la fois dans la graisse et l’alcool et qui restent donc souvent en chemin… En plus on utilise finalement plusieurs fois la quantité de plantes qu’on aurait mise dans une teinture donc c’est plus concentré.
[Détails un peu plus abstraits et moins intéressants pour certains d’entre vous : Une partie des substances passant dans la teinture peuvent se lier à vos molécules odorantes, c’est un des problèmes qu’on peut avoir avec la chlorophylle des parties vertes, soluble dans l’alcool et qui retient certaines molécules si bien qu’au final on a tendance à moins pouvoir les sentir (en plus ça tâche…). Pour finir , je pense que c’est plus anecdotique mais certaines molécules odorantes (parfois indésirables) passeront directement dans l’alcool alors qu’elles seront plus ou moins insolubles dans la graisse, ça peut aussi faire un tri intéressant dans certains cas.]
Pour ma part, grâce aux vacances, abélia (grandiflora), chèvrefeuille, café (oui… péruvien même), sépales de sauge officinale et lavandes variées ont eu droit à leurs enfleurages avec un soin plus ou moins grand et des résultats eux aussi divers. Des surprises mêmes bonnes ou moins bonnes mais en tous cas la technique s’affine et …c’est moi qui l’ai fait ! 😀
Pour ceux qui seraient tentés par l’expérience, chèvrefeuille et lavande ont donné les meilleurs résultats, l’abélia vient juste après ces deux là. (Enfleurage à froid avec fleurs renouvelés 7 fois, toutes les 24 heures à peu près, selon météo… pour chèvrefeuille et Abélia, enfleurage à chaud en une seule fois pour les lavandes.)
Abelia grandiflora (une caprifoliacée...)
Abélia et chèvrefeuille ont leurs personnalités olfactives propres et en avoir fait ces extractions est pour moi un vrai bonheur, non seulement j’apprécie les odeurs de ces fleurs et les résultats sont plutôt au dessus de ce à quoi je m’attendais mais en plus il est impossible de les trouver à l’achat, rien qui soit tiré de ces fleurs ne se vend pour la parfumerie, certains disent même parfois que le chèvrefeuille est « muet ». Muet dans la production commerciale c’est certain, preuve est pourtant faite ici qu’on peut en faire un enfleurage au résultat enchanteur !
Dernières idées/astuces :
– Pour toutes celles et ceux qui ne s’intéressent pas qu’aux parfums mais aussi aux cosmétiques faits maison, la graisse utilisé reste bien parfumée et peut donc se prêter à diverses utilisations… (en tenant compte qu’il a tendance à y rester un peu d’alcool, voir troisième étape…)
– Pour les plus motivés ayant assez de matière première, rien n’empêche de recommencer tout le cycle avec (de préférence) la même graisse et surtout avec le même alcool qui pourra ainsi s’enrichir en molécules aromatiques au maximum de ce que les solubilités et leurs équilibres permettent…
– La plupart des fleurs sont à ramasser par temps sec mais idéalement avant le lever du soleil ou après son coucher. Les fleurs sont souvent plus odorantes à ce moment là. Bien que certaines plantes fassent exception à cette règle, c’est vrai pour les deux caprifoliacées de cet exemple mais également pour la rose et le jasmin.
Encore l'abélia... à l'aube ou comme ici au crépuscule, il est plus odorant !
– Ah et un dernier détail, comme j’ai supposé que vous n’aviez pas d’évaporateur rotatif sous vide… je n’ai pas parlé d’évaporer l’alcool comme on le fait en principe à la fin mais si vous n’avez pas peur de perdre les fractions les plus légères de votre extrait, vous pouvez concentrer votre absolue par une simple évaporation flacon ouvert. Préférer l’évaporation lente dans un haut flacon contenant votre extrait dans le fond et ouvert simplement en partie haute. Les molécules aromatiques et moins volatiles que l’alcool auront tendance à rester en gouttelettes huileuses sur les parois du flacon au dessus du niveau de la solution alcoolisée. De la graisse se figera peut-être également à nouveau et pourra donc être retirée, à la fin on ajoute à nouveau un tout petit peu d’alcool ou de solution issue de l’enfleurage pour « rincer » le flacon en récupérant bien notre absolue.
Bon voilà je vous ai tout dit. Rien de révolutionnaire, la technique est même historique mais je pense que de l’avoir rappelée en détail et adaptée pour une version bricolée dans un coin de cuisine ça va aider du monde à se faire plaisir, en tous cas je l’espère.
Quand je vois sur la grande toile le monde qui se passionne pour les cosmétiques voire les parfums maison et utilisent souvent leurs propres teintures je n’ai pas de doutes, ça servira car l’enfleurage maison c’est un peu plus de travail mais ça vaut le coup, c’est plus proche de l’absolue !
Si vous faites vos propres essais n’oubliez pas de nous faire partager les résultats de vos expériences en commentaires par ici !