Au sujet des matières premières…

Puisque j’ai déjà évoqué le fait que j’avais choisi de ne m’intéresser qu’aux matières naturelles comme bases de mes créations, je vais commencer par quelques explications sur ces matières, en essayant de trouver un équilibre entre détails nécessaires et excès d’explications techniques…

Différentes catégories :

Si l’on met de côté les molécules organiques synthétiques, généralement issues du minéral (pétrole) dont les chimistes inondent généreusement la parfumerie actuelle, il ne reste que des matières d’origine végétale ou animale.

« Origine animale » ?

Je suis certain que ça en fera réagir plus d’un(e)… Alors petite explication :

Les matières animales ne nécessitent pas forcément d’acte de cruauté envers les animaux, la « Pierre d’Afrique » par exemple ou hyraceum, ingrédient glamour par excellence, est produite par le Daman du Cap (procavia capensis), un petit mammifère d’Afrique du Sud ayant l’apparence d’un gros rongeur. L’hyraceum est de l’urine riche en phéromones déposée toujours au même endroit par les membres d’une colonie pour marquer leur territoire. Après plusieurs siècles de vieillissement, l’urine séchée se pétrifie et prend une belle teinte brun sombre. Ce produit est ensuite dissous dans de l’alcool ou d’autres solvants et peut fournir une absolue utilisée en parfumerie.

Le Castoreum quand à lui est issu de glandes de castors, là c’est un peu plus violent puisqu’on est obligé de tuer l’animal… Mais il peut être prélevé sur des animaux qui sont tués également pour leur chaire et sont issus d’élevages canadiens, donc après tout si vous mangez de la viande l’utilisation de castoréum ne devrait pas vous traumatiser.

Matières d’origine végétale

Je ne vais détailler que celles que j’utilise principalement, à savoir :

Oléorésines, essences (au nombre de 3 : huiles essentielles, extraits au CO2 supercritique, absolues)

et arômes naturels… un peu détournés de leur usage normal.

J’aurais pu évoquer l’infusion, les teintures et pourquoi pas …le rhum ou d’autres choses originales mais ce sont là des matières d’un usage plus marginal. Le « fractionnement » sera quand à lui abordé un de ces jours de par son importance pour le parfumer moderne et son intérêt théorique, même si personnellement je n’en utilise pas pour le moment et ne suis pas très tenté de le faire.

Les oléorésines

Sont à la base des sécrétions naturelles issues de certains végétaux tels que les exsudats des conifères, des copaïers et de quelques autres, formées d’une essence et de la résine résultant de l’oxydation de cette essence. On recueille généralement les oléorésines par incision de l’écorce du végétal mais par extension les substances aromatiques résineuses extraites par solvant se voient appelées oléorésines, c’est le cas par exemple des extraits concentrés épais tirés de la vanille par macération dans l’éthanol puis évaporation.

Les essences

Sont des concentrés de molécules odorantes volatiles extraites des glandes à essence de certaines parties de végétaux aromatiques. Par extension cette catégorie inclut les absolues qui ne sont généralement pas issues de glandes à essence de végétaux mais de matières végétales ou animales dont on parvient tout de même à tirer un concentré de molécules aromatiques par des moyens plus performants impliquant des procédés d’extraction en deux temps (expliqués un peu plus bas sur cette page).

Elle peuvent être obtenues par simple expression à froid dans le cas des hespéridés (les zestes d’agrumes sont en effet rappés par grattage puis pressés)

Dans le cas des huiles essentielles, cette extraction se fera par circulation de vapeur d’eau sur les végétaux généralement frais et plus rarement secs.
Il existe parfois une confusion entre huile essentielle et essence. Dans le végétal nous avons affaire à une essence qui une fois extraite se voit appelée huile essentielle pour préciser qu’elle a été extraite par distillation à la vapeur d’eau.
Obtention d’une huile essentielle :
Distillation d'une huile essentielle

Dans le cas de l’extraction dite « au CO2 supercritique » on utilise du dioxyde de carbone froid sous pression qui se trouve dans un état mi liquide mi gazeux appelé état « supercritique ». Cela nécessite un équipement moderne complexe et de grande dimension mais présente l’avantage de présenter un bon rendement en permettant d’extraire certains composants trop peu volatiles pour être extraits par la vapeur d’eau tout en préservant certaines molécules fragiles qui auraient pu être cassées par la chaleur.

Les absolues (parfois appelées absolus) sont quand à elles (ou eux…) le résultat d’une double extraction par des solvants.
La plus ancienne méthode utilisée pour leur obtention était celle appelée l’enfleurage.
La première étape utilisait les excellents solvants naturels de molécules odorantes que sont les graisses ou huiles désodorisées, à froid ou à chaud selon la fragilité des fleurs.

Un exemple d'enfleurage artisanal

Exemple d'enfleurage artisanal

A chaud les fleurs étaient plongées directement dans la graisse fondue ou l’huile chaude dans laquelle elle macéraient quelques heures.
A froid on utilisait des tissus imprégnés d’huile, des plats en céramique ou en verre et plus récemment (voir actuellement, même si c’est devenu rare) des châssis constitués de plaques de verre fixées dans des cadres en bois sur lesquels était étalée de la graisse. Sur ces supports enduits de matières grasses on plaçait les fleurs qu’on remplaçait plusieurs fois et dont elles absorbaient l’odeur.

Que l’enfleurage ait été fait à froid ou à chaud, l’huile ou la pommade odorante obtenue était ensuite battue dans l’alcool puis décantée et filtrée pour séparer l’alcool chargé de molécules aromatiques de la graisse qui les lui avait cédées.

Vieille photo montrant un atelier d'enfleurage

De nos jours, le plus souvent on utilise un solvant organique volatil synthétique (hexane, alcool benzylique ou autres…)
que l’on évapore ensuite pour obtenir une pâte contenant essentiellement les cires et molécules aromatiques du végétal, pâte appelée concrète (pour les végétaux soumis frais à l’extraction) ou un résinoïde (pour les végétaux utilisés après séchage). De même que dans le cas des enfleurages, afin de ne conserver que les éléments solubles dans l’alcool qui sont les plus aromatiques on procède à un mélange de la concrète ou du résinoïde avec de l’alcool par battage, souvent en chauffant. Le mélange est ensuite refroidi, décanté, filtré (on en retire ainsi en particulier des cires végétales…).

Tant dans le cas d’un enfleurage que d’une extraction par solvants volatils, on évapore ensuite le deuxième solvant qu’est l’éthanol, généralement sous vide, pour obtenir enfin l’absolue, qui est sans doute la matière la plus spécifiquement adaptée à la parfumerie alcoolique et la plus utilisée même si elle est parfois utilisée à des fins médicinales en aromathérapie.

Les « arômes naturels »

Là ça se complique un peu car les procédés d’obtention sont multiples.
Les arômes naturels peuvent être d’origine végétale ou animale. Ils doivent n’avoir subi qu’un nombre limité de transformations autorisées (extraction, concentration, distillation, torréfaction, fermentation ou réaction enzymatiques) et aboutir en tous cas à des préparations compatibles avec une consommation humaine…
Il n’est pas rare que l’on parte de jus pour les fruits et d’infusions pour le thé, le café ou plantes aromatiques.
Ces extraits étant passés à l’évaporateur rotatif avant d’être à nouveau mélangés en concentration souhaitée dans une base alcoolisée ou sucrée selon l’arôme…
(Et non pour une fois même si le schéma de l’évaporateur est un peu impressionnant, ça n’a rien de chimique !)

Leur plus fréquent inconvénient pour la parfumerie est donc d’être fréquemment sucrés… Mais le sucre semble pouvoir être en partie éliminé au glaçage du parfum, surtout à degré alcoolique élevé.

Schéma type d'évaporateur rotatif

Les goudrons ou huiles issues de pyrolyse

Principalement utilisée pour des bois (cade, bouleau, pins, chêne… le plus réputé en parfumerie étant le goudron de bouleau) la pyrolyse (pouvant étymologiquement se traduire plus ou moins par destruction ou liquéfaction par la chaleur) est un procédé consistant à distiller du bois à sec en le brûlant finalement dans la cuve de distillation et à en recueillir la fumée condensée sous forme d’une huile épaisse et noire qui présente évidemment une forte odeur …de fumée.

Schéma de pyrolyse du cade

Schéma de pyrolyse du cade

8 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. lilz
    Jan 15, 2011 @ 18:27:01

    Bonjour!
    je suis tombée sur votre article et peut être pourriez vous me renseigner?

    voila, je cherche a faire de l’absolue de benjoin avec sa résine..

    comment procéder exactement?
    * faire macérer la résine dans l’alcool (a quelle quantité?, pendant combien de temps?)
    * laisser le solvant s’évaporer (a l’air libre?), on obtient alr la « concrète »
    * on la re-dilue dans de l’alcool en mélangeant (quelle proportion?, est il nécessaire de chauffer?peut on le faire a froid?)
    * « Le mélange est ensuite refroidi, décanté, filtré » (comment décanter avec du matériel de cuisine?)
    * enfin on laisse s’évaporer l’alcool

    pourquoi répéter 2fois l’évaporation?

    merci d’avoir pris le temps de me lire, en espérant que vous puissiez m’éclairer.

    Réponse

    • NezHerbes
      Jan 16, 2011 @ 18:26:58

      En principe on fait la première extraction avec un autre solvant organique volatil plus performant que l’alcool mais plus délicat à obtenir, à manipuler et souvent peu recommandable si il en restait dans l’absolu au final.
      Dans le cas de la résine de benjoin, elle est assez soluble dans l’alcool pour qu’il soit inutile d’utiliser autre chose, du coup une seule extraction, qui sera même plus une simple dissolution, suffira.

      Classique teinture dans l’éthanol :
      *10% de résine dans l’alcool semble un bon choix si vous voulez avoir une chance de pouvoir filtrer sans trop de mal, sinon c’est trop épais (le codex défini la teinture comme étant 20% de benjoin dans l’alcool… mais ça risque d’être un peu épais)

      *Pour le temps de dissolution, si urgence, quelques dizaines de minutes au bain-marie pas trop chaud (je dirais… 50° maximum) mais si vous avez le temps, 2 à 3 semaines à température ambiante en agitant un peu chaque jour seront préférables.

      *La présence d’impuretés dans la résine étant probable, filtrer à cette étape, en ajoutant si besoin un peu d’alcool si c’était trop épais avec 10% de benjoin

      *** A mon avis vous pouvez vous arrêter là, une teinture de benjoin à 10% étant une bonne base pour les parfums ou la cosmétique ***

      Sinon… (Mais ça me semble totalement inutile puisqu’on a déjà extrait dans l’éthanol…)

      *Puisque je ne pense pas que vous ayez un évaporateur sous vide comme on en utilise en principe pour obtenir un absolu, vous pouvez toujours évaporer votre alcool à température ambiante en couvrant d’un carré de tissu à mailles fines. (Un torchon de cuisine pouvant convenir… 😉

      *Vous obtiendrez dans le cas présent un « résinoïde » (une concrète c’est pour les végétaux frais, souvent les fleurs) qui sera dans le cas une sorte de benjoin purifié ou d’oléorésine de benjoin.

      *Pour re-diluer, revenir à la première étape…

      Rien à décanter, inutile de filtrer à nouveau, impossible que vous retrouviez des cires là-dedans ! 😀

      Dans un cas ou ça servirait à quelque chose, décanter dans votre cuisine reviendrait à prendre un récipient un peu haut et à laisser se déposer au fond (ou remonter à la surface) ce qui voudrait bien le faire, éventuellement en plaçant la solution au frais.

      Quand à votre question d’une deuxième évaporation, déjà que la première me semblait totalement inutile dans le cas présent, oubliez la seconde.

      En temps normal évaporer à nouveau sert à concentrer l’absolu au maximum pour plusieurs raisons : il est à priori plus sstable sous cette forme concentrée, ça évite de transporter des matières diluées qui pèsent plus lourd et l’habitude est de vendre à ses clients l’absolu concentré et non dilué dans l’éthanol. D’ailleurs les formules de parfums se basent généralement sur des poids d’absolus non dilués.
      Toutefois certains absolus sont liquides mais d’autres sont solides et serait du coup plus faciles à utiliser pré-dilués pour qui n’a pas un véritable labo -avec balance précise- à disposition et fabrique de petites quantités dans sa cuisine ! 😉

      Bonne dissolution de benjoin !
      Mais comme je suis curieux, vous voulez l’utiliser pour quel genre de chose ?

      Réponse

  2. NezHerbes
    Jan 30, 2011 @ 22:05:11

    De rien…

    J’espère que ça pourra servir à quelqu’un quand même… Dorénavant je crois que les questions techniques de ce genre resteront sans réponse ! 🙂

    Réponse

  3. Irène
    Août 11, 2011 @ 14:49:27

    Mais non, c’est très intéressant !

    Réponse

  4. Irène
    Sep 26, 2011 @ 10:25:56

    C’est la vie !

    Réponse

  5. Svava
    Juil 08, 2012 @ 06:45:44

    Hé bien, oserais-je dire que nous avons bien de la chance que vous ayez répondu de manière si exhaustive à cette personne? Bah oui, j’ose… c’est elle qui y perd, et nous qui y gagnons… vos commentaires sont décidément aussi intéressants et percutants que vos articles!

    Superbe article que voilà, encore (et ce n’est que le troisième de vos écrits que je lis… je me demande qu’elle tournure prendra mon prochain commentaire pour ne pas tomber dans de monotones redites…), vous combler véritablement mes lacunes, disons, scientifiques, vu que je reste une bonne vieille autodidacte à l’expérience bien plus empirique qu’académique (rhalala, j’aurais du écouter le prof de bio à l’école… et celui de chimie… et celui de…).

    Je voulais réagir particulièrement sur la Pierre d’Afrique, une apparente divine senteur (je ne l’ai jamais sentie, ou peut-être que si mais sans savoir «  »qui » elle était) issue de l’urine… voilà qui montre encore que le « beau » ou le « sale » n’a pas grand chose à faire avec les « histoires de nez », et que ce qui pourrait sembler « dégoûtant » peut tout à fait mettre nos sens (de l’odorat mais pas que) en ébullition! Bref, le parfum n’est pas chose dualiste, et j’aime ça… il est entier, authentique,.. cela me rappelle Grenouille (l’une de mes plus grandes muses, j’avoue) pour qui il n’y avait pas de bonnes ni de mauvaises odeurs, toutes étaient dignes d’intérêt, toutes ont une richesse et un enseignement à prodiguer.

    Je vais m’arrêter là, parce que si je dois commenter chacun de vos paragraphes (si si, je pourrais… quand on cause plantes et odeurs, difficile de me faire taire…), nous y serions encore demain!

    Réponse

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