Ambrette y es-tu ?

Suite à mon article intitulé « Le débat à la mode » (ça fait déjà quelques temps…) il y avait dans un commentaire (de Jeeks) une question intéressante, je la cite : « J’ai toujours lu que dans certains parfums de Serge Lutens, était utilisée la graine d’ambrette (sensée ressembler au musc?) , alors là aussi ce serait une habile manœuvre marketing ? »

Ensuite je me suis aperçu que même sur un site bien connu on pouvait lire des choses totalement erronées à ce sujet. (Après quelques e-mails de ma part à ce sujet la page a été corrigée donc je ne les nomme  pas…)

Selon eux l’essence (dite « absolue ») d’ambrette était interdite pour cause de présence de musc ambrette … c’est heureusement absolument faux !

Visiblement une grande confusion règne mais c’était forcé (peut-être même voulu), merci à nos amis du marketing de la chimie. C’est effectivement un nom plus agréable à utiliser mais ils n’auraient pas dû appeler « musc ambrette » le 1-tert-butyl-2-methoxy-4-methyl-3,5-dinitrobenzene car cette molécule n’existe pas plus dans l’ambrette qu’elle n’est connue ailleurs dans la nature .

Du coup je me suis dit qu’un article dédié à l’ambrette était nécessaire

En fait pour commencer par répondre à la question de Jeeks, non, M Lutens a vraisemblablement dit la vérité car s’il existe un « musc ambrette » (artificiel, nitré, photosensibilisant et neurotoxique [voir « Neurotoxic properties of musk ambrette »] dont l’utilisation est en principe arrêtée depuis 1995) qui ne vient pas de l’ambrette.

Le musc ambrette en 3D

Le musc ambrette en 3D (artificiel et d’une toxicité confirmée)

Il existe également bien des extraits de graines d’ambrette à odeur musquée. Une odeur due à la présence naturelle d’ambrettolide (Isoambrettolide en fait), une molécule considérée comme sans toxicité significative.

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Modélisation de la molécule d’ambrettolide naturel

Présentation de la plante :

L’ambrette est une grande plante herbacée annuelle à bisannuelle  ressemblant à l’hibiscus et pouvant atteindre une taille de 3 mètre 50 avec de grandes fleurs de 15 à 20 cm de diamètre. Elle est de la famille de la mauve, très proche des hibiscus et longtemps confondue avec eux, d’où son ancien nom d’Hibiscus abelmoscus L.

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Abelmoschus_moschatus = »Ambrette »

« Flora de Filipinas » par Francisco Manuel Blanco

Finalement un genre à part à été créé, le genre Abelmoschus comportant également le gombo (Abelmoschus esculentus) dont la gousse est consommée comme légume ou condiment. Originaire d’Afrique (Egypte) la plante est désormais cultivée un peu partout sous les tropiques et entré dans certains plats américains ou japonais.

Mais revenons en à notre ambrette, elle  a été rebaptisée Abelmoschus moschatus et bien qu’originaire de l’Inde, des régions tropicales d’Asie et d’Australasie elle est désormais également cultivée un peu partout sous les tropiques avec en particulier une production significative en Amérique latine (Equateur, Pérou…). (On distingue d’ailleurs 3 sous espèces.)

L’essence, l’odeur

Son principal défaut est de n’être pas très généreuse en essence. L’extraction à la vapeur d’eau est assez difficile car elle demande une longue distillation à la vapeur d’eau sous pression. L’extraction au CO2 supercritique semble intéressante car cette méthode est plus adaptée à l’entrainement des molécules lourdes, le rendement est donc bien meilleur.

Le produit de distillation à la vapeur d’eau (assimilable à une huile essentielle malgré l’utilisation d’une pression supérieure à l’atmosphérique) est généralement appelé absolue, parfois beurre ou concrète car à température ambiante elle a tendance à être épaisse, voire solidifiée.

Quel que soit le mode d’extraction utilisé le résultat sera assez riche en acides gras de la graine mais surtout irremplaçable en parfumerie !

En effet son odeur évoque le musc, le musc propre, l’animal velours, avec une facette poire et pour compléter cette description toute personnelle je la considère vibrante et élégante. (Oui je considère certaines odeurs comme « vibrantes »…)
Cette matière est à considérer comme note de fond, une sorte de fixateur vaguement animal mais en tous cas charnel.

Quelques liens :

Résumé français de « Neurotoxic properties of musk ambrette » (Et le même en VO anglaise)

Autres publications autour de l’impact sur la santé des muscs artificiels (« musc ambrette » et autres)

Documents techniques (chez thegoodscentscompany.com) :

Chromatographie type d’une concrète d’ambrette

l’(iso)Ambrettolide

Le « musc ambrette » artificiel (nitré)