Tergiversations…

Au sujet de la possibilité/facilité et de l’impossibilité/difficulté à reproduire des créations.

Il me semble qu’il y a des inégalités suivant les arts mais il y a presque toujours moyen de reproduire une création, reste à savoir, est-ce justifié ?

Réponse variable suivant les arts et les raisons qui poussent à reproduire la chose créée.

En même temps, quelle est l’importance de l’unicité d’une création dans la valeur que l’on peut lui accorder ?

Évidemment le domaine qui m’intéresse tout particulièrement est celui des parfums…

Un parfum créé et « produit » une seule fois est unique, un parfum reproduit à l’identique mais selon la formule très précise créée au départ n’est-il plus unique ?

Doit-on et peut-on réellement envisager la « vraie » parfumerie d’art comme la création de parfums totalement personnalisés n’étant reproduits que pour la même personne ? Au moins pour cette personne, un parfum s’usant plus vite qu’une toile ou un bronze… même si on garde le flacon « hermétiquement » fermé, ça se modifie  plus ou moins et finit par s’altérer en vieillissant.

En plus reproduire une formule, de prime abord ça paraît simple mais en pratique c’est un peu plus compliqué, par exemple en parfumerie naturelle, les matières premières varient selon provenances, les années, la méthode et le savoir faire de ceux qui cultivent, récoltent et extraient les plantes et leurs molécules odorantes. Certaines peuvent même ne plus être produites pour diverses raisons, évolutions de la législation, disparition de ressources naturelles, des producteurs, modification de climat, pollution d’une région, main d’œuvre devenant trop coûteuse… les causes peuvent-être multiples.
Du coup, le parfum, même le plus unique, celui pour une seule personne, si l’on est obligé de le modifier en usant de matières plus où moins différentes à la fabrication, voir de le « reformuler » réellement par défaut d’une matière, ça reste le même parfum, il reste unique ?

Peut-être faut-il faut dissocier le sentiment qu’on en a de la réalité froide et matérielle, on peut le considérer unique ou pas, question de personne, de façon de voir et pourquoi pas, de choix… Dans l’intention et l’émotion du créateur, le parfum créé sera unique, même reproduit à des milliers d’exemplaires, même reformulé au mieux, d’un mieux très imparfait, à mon avis tant qu’on cherche avant tout à coller au mieux à la création de départ elle restera unique. Le parfum a été créé pour une personne en particulier ? Encore plus unique ! (Petite digression, si, ça arrive encore de créer un parfum en pensant à une personne, je pense que c’est même très fréquent chez le créateur amateur ou artisan mais difficile voir quasi impossible chez le nez de maisons à production industrielle. Jean-Paul Guerlain semblait considérer que l’on ne pouvait créer un parfum qu’en pensant à une personne et en fait je suis assez d’accord.)
De plus, malgré les inévitables approximations évoquées dans une « réédition » ou une reformulation, un parfum est une forme globale, une sensation, un souvenir que l’on peut retrouver par quelques touches bien choisies, comme en art graphique une esquisse peut donner l’impression de quelque chose de déjà abouti.

Autre parallèle dans un autre domaine, chaque pain artisanal a forcément une odeur un peu différente, suivant le temps de fermentation, le type de farine et de levure, le four utilisé…

Pourtant l’odeur du pain « fait maison » me rappelle toujours le pain fait maison ! Il y a une parenté dans les variantes de cette odeur.

Sans être exactement l’odeur du pain de seigle au levain pétri à la main et cuit dans mon mini four d’étudiant il y a 15 ans… mon pain de blé à la levure fait avec mon pétrin électrique (oui, on ne peut pas toujours tout faire en prenant le temps…) dans mon gros four électrique à chaleur tournante la semaine passé m’a pourtant transporté 15 ans en arrière en évoquant ce souvenir par la similitude des odeurs.

Après il faut tout de même le savoir faire du boulanger… pardon je m’égare, du parfumeur, pour que l’odeur reste assez proche de celle mémorisée, attendue et reconnue, pour que la même émotion soit retrouvée.

Ca peut sembler futile de réfléchir à tout ceci, pourtant, quand on voit les incroyables pages existantes sur divers forums au sujet des reformulations d’anciens (ou pas si anciens) parfums on voit que ça touche à l’émotion, au sensible.

Du coup ce n’est peut être pas si inutile ou alors, art et émotion seraient inutiles ?

C’est peut-être ce qu’espèrent ou croient certains responsables de maisons de parfums… car certaines reformulation sont faites avant tout pour des questions d’augmentation de profit et dans ce cas, on comprend qu’il puisse y avoir souvent des utilisateur (ils disent « consommateurs ») déçus, un parfum peut aussi perdre son âme !

3 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. céline
    Nov 19, 2010 @ 11:16:00

    Bonjour Nezherbes,

    A propos du parfum unique. Un parfum est à la vois une réalisation artistique/artisanale mais également une oeuvre commerciale. Il ne faut pas l’oublier, ni le regretter…sinon nous serions trop peu nombreux à pouvoir vivre de notre métier aujourd’hui ! 🙂
    Quand à la reproduction de cette oeuvre, il ne fau pas s’inquiéter des variations qui apparaissent d’une année sur l’autre, sur les mp naturelles. En génerale elles n’influent pas ou très peu sur la globalité du parfum. Ne pas oublier que le parfum se construit sur un rapport d’odeurs et non selon une recette où l’on additionne des ingrédients. C’est là toute la complexité du métier.
    Quand au mp de synthèse on les retrouve la majorité du temps à l’état naturel. Quelques synthétiques sont en effet artificiels mais ils sont peu nombreux et sans danger…je ne tiens pas à empoisonner les amateurs/trices de parfums ! Le naturel à haute doses ou tilisé pur peut provoquer des irritations, des allergies ou des empoisonnement.
    Bonne reflexion ! Je suivrais vos états d’art avec plaisir !!

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    • NezHerbes
      Nov 19, 2010 @ 22:57:45

      Bonjour Céline,

      Merci pour votre visite et votre commentaire.
      On voit le point de vue de la professionnelle expérimentée il y a effectivement de la pertinence, toutefois je me permets de ne pas être totalement en accord avec vous.

      Je commencerai par nos désaccords.
      Que le côté commercial du parfum permette à plus de gens d’en vivre est discutable, il permet surtout à quelques uns, pas forcément les nez d’ailleurs, plutôt les PDG et grands actionnaires de quelques grosses sociétés, de s’enrichir éhontément sur la crédulité du quidam qui achète un parfum en pensant que dedans, il y a principalement des extraits de fleurs de fruits, de bois et autres matières nobles et naturelles…
      Pour reprendre un exemple déjà cité. (Il y en aurait d’autres mais je trouve celui-ci particulièrement éloquent.)
      Que dire par exemple du nom choisi pour le « Bois de Cachemir » ?
      Le nom est beau, ça fait rêver, pourtant, est-ce extrait d’un bois précieux ? Pas le moins du monde, ça ne vient que d’une usine à produits chimiques, pas d’un bois, encore moins précieux…
      Certains penseront que ça ne fait rien, ils ont le droit de le penser et il en faut pour tout les goûts, pour moi ça s’apparente pourtant à une tromperie, une sorte de mensonge par omission, au minimum.

      Evidemment les plus connaisseurs de parfum le savent parfois, un parfum moderne est en moyenne à plus de 90% (et encore je suis gentil) chimique. Pour beaucoup, ça ne provoque pas plus qu’une légère déception passagère, tant mieux pour eux, ils ont le plaisir de se parfumer avec des molécules inédites, tant mieux aussi pour ceux qui les fabriquent si tout le monde est content.
      Je ne reproche que le manque de franchise, pas les choix des uns et des autres.

      Concernant la suite, en effet les matières premières de synthèse, copie de molécules naturelles sont fréquentes, la majorité dites-vous ? Là honnêtement je n’ai pas de chiffres, il en existe sur le sujet ?
      Je sais simplement que les molécules 100% inventées et inédites dans la nature sont déjà nombreuses en parfumerie et qu’il en sort sans cesse de nouvelles.
      Le naturel peut-être nocif, je le sais parfaitement et suis là-dessus totalement d’accord avec vous. Il suffit de lire mon article sur le linalol, molécule si fréquemment présente dans les matières naturelles pour voir que dans certains cas il peut-être irritant voir allergisant, surtout une fois oxydé…
      Que vous n’ayez pas de volonté de jouer les empoisonneuse était pour moi une évidence, je suis désolé si vous avez pu vous sentir offensée, je vous ai assez lu pour savoir que vous n’avez rien d’une bête sournoise ! 😉
      Mais, là je suis presque désolé de mettre encore un « mais », votre « ils sont peu nombreux et sans danger » me semble un peu rapide.
      Une molécule artificielle que le vivant n’a jamais côtoyé, pour être totalement sûre, devrait passer au bas mot une dizaines d’années (à mon avis quelques décennies serait préférables) de tests sur des modèles animaux puis des volontaires humains, c’est ce qui se fait pour les médicaments, il y a pourtant parfois encore des problèmes après ça. Et… ça coûte des fortunes, c’est difficile à justifier devant le grand public, déjà pour les animaux, encore plus pour des expérimentations chez l’homme, surtout pour des parfums. (Et vous avez dû comprendre que je tenais pourtant les parfums en haute estime)
      Là il se peut que vous me répondiez qu’il existe tout de même des tests, in vitro, plus rapides, moins couteux, de toxicité, de mutagénécité, de cancérogénicité… oui heureusement il en existe c’est vrai, ça limite un peu la casse !
      Mais nier tout danger… c’est de l’angélisme, on l’a vu pour des médicaments disais-je, on l’a malheureusement déjà vu aussi dans les parfums avec certains muscs synthétiques et phtalates (voir ce lien…).
      Mais trêve de réalisme, venons-en enfin là ou nous sommes parfaitement d’accord, la variabilité annuelle des matières premières naturelles n’est dans une majorité de cas pas vraiment gênante car assez discrète pour presque disparaitre dans a forme olfactive globale d’une composition. Comme je suis parfois un peu trop perfectionniste, je dirai qu’il reste ce « presque ». Tout le monde n’aura pas la même tolérance avec lui mais on peut généralement l’oublier.
      Et pour clore cet échange de points de vue « le parfum se construit sur un rapport d’odeurs » c’est en effet tout l’intérêt de la chose, on pourrait dire qu’une fois encore le tout est plus que la somme des parties !

      En tous cas merci encore Céline, malgré nos désaccords je vous suis également avec plaisir, sur votre blog, le (beau) site de TDC et même rue Ferdinand Duval lors de mon dernier séjour à Paris.

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  2. Svava
    Juil 08, 2012 @ 11:42:05

    Les parfums modernes, synthétiques à souhait, me donnent des hauts le coeur, et la seul désir qu’ils éveillent en moi est de les fuir à grandes enjambées… Pour tout dire, je soupire nostalgiquement après la parfumerie authentique, la vraie, celle qui est destinée à éveiller les sens, à parler à nos rêves les plus intimes, à dévoiler les secrets enfouis dans l’alcôve de l’âme… et cela, je ne le conçois pas possible avec une quelconque mixture sortie tout droit d’un labo qui utiliseraient toutes matières premières sauf les naturelles…

    Parfum, senteur, odeur… sont étroitement liés à l’émotionnel, à l’instinctif, à la part sauvage en nous, ils parlent un langage universel ne souffrant aucun faux semblants. A mon sens, l’odorat est également très lié au goût, et j’ai des souvenirs de mon enfance encore très marqués en moi, tellement viscéraux (et ce malgré leur ancienneté) que j’ai du mal à faire un distinguo entre senteurs et saveurs…

    Il y aurait tant à dire… je pense que j’écrirai un article en ce sens sur mon blog, bientôt… dans tous les cas, je répondrai que non, ce genre de réflexions n’est pas inutile car permet d’apprendre à mieux se connaître, et par extension, à mieux comprendre le monde qui nous entoure. Pour autant que l’on en tire enseignement, bien entendu, l’ignorant peut quant à lui rendre n’importe quoi, même la plus belle perle de sagesse, des plus futiles et inintéressantes…

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